Quand le salaire est versé lors de la succession

Votre lecteur né en 1930 aurait travaillé gratuitement dans la ferme de ses parents de l’âge de 14 ans à l’âge de 21 ans puis une année après son Service Militaire effectué en Algérie de 1956 à 1959.

Celui-ci souhaiterait savoir s’il dispose d’un droit à une quelconque compensation pour ce travail effectué au sein de la ferme de ses parents et dans l’affirmatif comment cette compensation peut être obtenue.

Il apparait que votre lecteur est effectivement en droit de faire valoir une créance de salaire différé.

La créance de salaire différé est régie par les articles L321-13 et suivant du Code Rural et de la Pêche Maritime.

Il s’agit d’une institution spécifique au Monde agricole qui permet aux descendants d’agriculteurs (ou en cas de près-décès de ceux-ci à leurs enfants vivants ou représentés) et, le cas échéant, à leurs conjoints, qui ont participé à la mise en valeur d’une entreprise artisanale ou commerciale de nature familiale sans recevoir de salaire en argent et sans être associé aux bénéfices ou aux pertes de l’entreprise,  de prétendre à une indemnité afin de le dédommager de sa participation désintéressée à cette mise en valeur, de l’exploitation familiale.

Il doit cependant être souligné que ce droit de créance ne s’exerce en principe qu’après le décès de l’ascendant exploitant agricole et au cours du règlement de sa succession.

Cependant, le bénéficiaire du contrat de travail à salaire différé peut être également rempli de ses droits du vivant de l’exploitant dans la mesure où ce dernier y consent notamment à l’occasion d’une donation-partage et, ce, en application de l’article L321-13 du Code Rural de la Pêche Maritime.

En conséquence, en l’absence de tout accord de l’agriculteur exploitant de son vivant, le droit de créance de salaire différé ne devient exigible qu’au jour de son décès.

En cas, de contentieux, il sera nécessaire pour votre lecteur d’établir :

  • Qu’il a bien participé à l’exercice d’une activité agricole
  • Que son/ses ascendant(s) avai(en)t bien la qualité d’exploitants agricoles

Pour que la créance de salaire différé puisse être revendiquée dans le cadre des successions des deux ascendants de votre lecteur, il faudra que celui-ci puisse établir la qualité d’exploitant agricole de chacun d’entre eux puisque cette créance ne peut être évoquée que dans le cadre  la succession du seul exploitant agricole ayant justifié des travaux accomplis à titre bénévole par son descendant et que cette créance constitue une dette de l’exploitant agricole qui lui est personnelle et qui ne doit pas figurer au compte de liquidation de l’éventuelle Communauté qui existait entre ce dernier et son époux.

Il doit d’autre part être souligné qu’en application de l’article L321-13 alinéa 1er du Code Rural et de la Pêche Maritime, seuls les descendants âgés de plus de 18 ans peuvent bénéficier d’un contrat de travail à salaire différé dès lors qu’ils remplissent par ailleurs les conditions de participation à l’exploitation privée par ce même texte.

Ainsi, la période de collaboration désintéressée par le descendant avant d’avoir atteint l’âge requis, soit 18 ans révolus, ne peut être prise en compte au titre du salaire différé.

En conséquence, votre lecteur ne pourra faire valoir une créance de salaire différé que pour les trois années s’étant écoulées à compter de son âge de 18 ans jusqu’à l’âge de 21 ans puis au titre de l’année de travail par lui accomplie après son Service Militaire.

En effet, il doit être souligné que la jurisprudence décide que la période de Service Militaire ne peut être prise en compte dans le calcul du salaire différé en l’absence de participation directe et effective du descendant à l’exploitation.

Enfin, le bénéfice du Contrat de Travail à Salaire différé suppose de la part du descendant de l’exploitant agricole, une participation directe et effective à l’exploitation soit une collaboration aux travaux agricoles de mise en valeur du domaine familial.

Par exemple, de simples travaux de jardinage ou l’exécution de tâches ménagères ne sauraient être pris en considération à ce titre.

D’autre part, si la participation à l’exploitation familiale ne doit pas nécessairement revêtir un caractère permanent mais peut n’être que partielle et limitée, il importe que celle-ci ne soit pas simplement occasionnelle.

Ainsi, il a été jugé que des travaux agricoles ponctuels ou saisonniers ne sont pas suffisants à la naissance d’une créance de salaire différé puisque la participation à l’exploitation était dès lors simplement occasionnelle bien que régulière le cas échéant.

D’autre part, pour pouvoir prétendre à la créance de salaire différé, le descendant ne doit pas avoir été associé de quelque façon que ce soit aux bénéfices et aux pertes de l’exploitation ni avoir reçu de salaire en argent en contrepartie de sa collaboration.

La Jurisprudence décide cependant que les différents avantages en nature inhérente à la Communauté de vie sur l’exploitation ne s’oppose pas au bénéfice du salaire différé (Par exemple : hébergement, argent de poche, rémunération partielle).

Il doit être souligné que votre lecteur, en cas de réclamation d’une créance de salaire différé à l’égard de la succession de ses parents sera soumise à une difficulté probatoire puisqu’il devra établir l’ensemble des éléments ci-dessus invoqués et, ce, par le biais par exemple de témoignages ou de toute reconnaissance écrite dans le cadre de correspondances par exemple.

La Cour de Cassation décide effectivement que c’est « à celui qui se prétend bénéficiaire d’un contrat de travail à salaire différé d’apporter la preuve qu’il remplit les conditions légales et notamment de ce qu’il n’a reçu aucune contrepartie pour sa collaboration à l’exploitation ».

Pour ce qui a trait au calcul du montant de la créance, il doit être souligné que le descendant de l’exploitation agricole réputé bénéficiaire d’un contrat de travail à salaire différé a droit pour chacune des années de participation directe et effective à l’exploitation à partir de l’âge de 18 ans révolus à la valeur des 2/3 de la somme correspondant à 2080 fois le taux de salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) en vigueur soit au jour du partage consécutif au décès de l’exploitant, soit au plus tard à la date de règlement de la créance, si le règlement intervient du vivant de l’exploitant (soit aujourd’hui environ 14 000 euros par an).

Cette indemnité est plafonnée à 10 ans.

Il doit enfin être précisé que l’action en paiement de la créance en salaire différé est soumise à prescription.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la durée de la prescription de l’action en paiement de salaire différé se trouve ramenée à 5 ans à compter de l’ouverture de la succession de l’exploitant agricole.

Du point de vue du droit transitoire, la nouvelle prescription s’applique aux prescriptions en cours à partir du 19 juin 2008 sans que sa durée totale puisse excéder 30 ans.

Il existe certaines causes du report du point de départ de cette prescription ou de suspension reposant par exemple sur l’impossibilité d’agir (ignorance non blâmable de la date de décès de l’exploitant par le créancier de salaire différé) ou d’interruption de la prescription (par exemple, par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait).

Au regard de l’ancienneté de la créance de salaire différé dont parait pouvoir se prévaloir votre lecteur, il est donc nécessaire que celui-ci fasse rapidement effectuer une vérification de ses droits à ce titre pour s’assurer qu’en particulier ne peut lui être opposée la prescription ci-dessus rappelée.

En cas de contentieux, celui-ci relèvera de la compétence du Tribunal d’Instance si la créance de salaire différé réclamée n’est pas supérieure à un montant de 10 000€ ou du Tribunal de Grande Instance, si elle est supérieure à ce montant ou si la demande de salaire différé est liée à une demande en partage de succession.

Maître Gérard CEBRON DE LISLE

Avocat au Barreau de Tours

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