DES NUDITES IMPOSEES A UN MINEUR REQUIERENT DEPOT DE PLAINTE

« Ma fille mineure de 16 ans a reçu une série de photos obscènes, envoyées par une personne majeure sur Snapchat. Elle n’avait pas donné son accord. Peut-elle ou moi son parent, et doit-elle porter plainte ? Elle ne connaît pas la personne. Quels sont les risques pour elle ? Et cette procédure peut-elle aboutir vraiment ? »

Le dépôt de plainte n’étant possible qu’en cas d’infraction pénale, la première question qui se pose est celle de la qualification pénale des faits dont votre fille a été victime.

Le fait pour un majeur de transmettre à une mineure âgée de plus de 15 ans via un réseau de communication électronique des photos obscènes peut être appréhendé en droit pénal sous deux qualifications délictuelles.

En premier lieu, ces faits peuvent caractériser le délit de corruption de mineur prévu par l’article 227-22 du Code pénal qui interdit « le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur ».

En l’absence de définition légale de cette infraction, ce sont les juridictions qui ont précisé les contours de ce texte.

Ainsi, en jurisprudence ce délit est constitué dès lors qu’un prévenu associe un mineur à son comportement impudique, avec la volonté d’éveiller ses pulsions sexuelles ( Cass. Crim. 1er févr. 1995, n° 93-82.578)

S’agissant de l’acte corrupteur, il a été jugé que le délit est caractérisé notamment par l’envoi à un mineur de correspondances érotiques et de dessins pornographiques ( Cass. Crim 25 janvier 1983 Bull Crim n°29)

Dès lors, sous réserve de démontrer  la volonté de l’auteur d’associer votre fille à ces actes immoraux afin de la corrompre, (ce que l’enquête pénale permettra de déterminer), le fait pour cette personne majeure de lui avoir transmis une série de photos obscènes rentre dans le champ d’application de ce texte.

Par ailleurs, la commission de ce délit via l’utilisation d’un réseau de communication électronique, à savoir « Snapchat » constitue une circonstance aggravante de l’infraction.

Dès lors, l’auteur de ces faits encourt à titre de peine principal au maximum 7 années d’emprisonnement et une amende de 100 000 euros. A titre de peine complémentaire, il pourra notamment être condamné à :

-une interdiction d’exercer certains droits civiques civils et de famille (limitée dans le temps),

-l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs à titre temporaire ou définitif

-à un suivi socio judiciaire pouvait aller jusqu’à 10 ans.

Enfin, ce délit étant une infraction de nature sexuelle, il est soumis à un régime procédural particulier, depuis l’enquête jusqu’aux modalités de suivi après la condamnation. Ainsi, notamment :

-la prescription de l’action publique qui en la matière est de 10 ans ne commence à courir qu’à compter de la majorité de la victime

-les empreintes génétiques de la personne suspectée ou condamnée sont prélevées aux fins d’enregistrement dans un fichier. ( FNAEG).

-l’auteur encourt une inscription de plein droit au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS) d’une durée de 20 ans avec obligation de justifier de son adresse une fois par an et de déclarer ses changements d’adresse dans un délai de 15 jours au plus tard.

En second lieu, ces faits peuvent revêtir la qualification pénale de diffusion de messages pornographiques accessibles à un mineur, délit prévu par l’article 227-24 du Code pénal.

Cette infraction est retenue lorsqu’une personne majeure diffuse, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, un message à caractère pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur, ce qui est le cas dans notre hypothèse.

Les peines principales encourues pour ce délit sont au maximum de 3 ans d’emprisonnement et 75.000 € d’amende. Les peines complémentaires sont identiques à celles prévues pour le délit de corruption de mineur et le régime des infractions sexuelles est également applicable.

En ce qui concerne le choix de la qualification pénale c’est in fine le procureur de la République voir le juge d’instruction, après le dépôt de plainte et à l’issue de l’enquête qui retiendra la qualification la plus adaptée.

Votre fille ayant été victime d’un délit pénal, la seconde question qui se pose est celle du dépôt de plainte.

Le dépôt de plainte permet à une personne d’informer le procureur de la République directement ou par l’intermédiaire d’un service de police ou de gendarmerie de la commission d’une infraction dont elle a été victime.

En tant que mineure, votre fille a la faculté de déposer plainte elle-même.

Elle peut ainsi écrire directement au procureur de la république ou se rendre seule dans les locaux de la police ou de la gendarmerie. Dans ce dernier cas, en application des dispositions de l’article 706-53 du Code de procédure pénale, elle peut, à sa demande être accompagnée par :

  • vous, son représentant légal, 
  • une personne majeure de son choix,
  • un représentant d’une association d’aide aux victimes.

En revanche, si votre fille souhaite obtenir une indemnisation du préjudice qu’elle a subi à la suite de cette infraction et demander des dommages et intérêts, elle devra se constituer partie civile obligatoirement par votre intermédiaire, son parent, en tant que représentant légal.

En cette même qualité, vous avez la faculté de déposer plainte s’agissant des faits dont votre fille a été victime sans avoir besoin de justifier de son accord préalable.

Si le procureur de la République décide de ne pas donner suite à cette plainte, il est possible sous certaines conditions de déposer plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d’instruction.

Pour l’ensemble de ces démarches il est fortement recommandé d’être accompagné par un avocat qui à toutes les étapes de la procédure pourra vous conseiller et vous assister.

Le fait que votre fille ne connaisse pas l’identité de l’auteur de l’infraction ne pose en soit pas de difficulté au stade du dépôt de plainte. Il est possible de déposer plainte contre X.  Par la suite, il appartiendra aux enquêteurs d’identifier l’auteur de l’infraction.

Déposer une plainte n’est jamais une obligation. Néanmoins, sans cette plainte, aucune enquête pénale permettant l’identification et l’appréhension de l’auteur ne sera ouverte et exposera ainsi votre fille à être de nouveau victime des agissements de cette personne.

L’issue de la procédure dépendra des preuves que les enquêteurs parviendront à réunir

En ce sens, il convient que votre fille leur fournisse un maximum d’éléments s’agissant des faits reprochés : capture d’écran des photos envoyées, identifiant Snapchat de l’auteur, la liste de ses contacts etc…

Quoiqu’il en soit, dans la mesure où les faits ont été commis par un moyen de communication électronique, les services d’enquête disposent de moyens d’investigation renforcés.

Ainsi, ils pourront avoir recours à l’infiltration électronique désignée encore « enquête sous pseudonyme »

Ce procédé prévu à l’article 230-46 du Code de procédure pénale leur permet sous pseudonyme de de « (…) participer à des échanges électroniques, y compris avec les personnes susceptible d’être les auteurs de ces infractions ; Extraire ou conserver par ce moyen les données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions et tout élément de preuve ( …) » 

Concrètement cela signifie que pour confondre l’auteur, les enquêteurs pourront utiliser votre compte Snapchat, et se faisant passer pour vous, rentrer en contact avec cette personne.

Surtout, l’aboutissement de la procédure dépendra de la volonté de collaboration de Snapchat avec les services d’enquête afin d’identifier l’auteur de l’infraction.

Toutefois, l’entreprise affirme sur son site qu’elle travaille « étroitement avec les services de police » et s’engage à les « soutenir leurs efforts et les aider dans leur investigation. »

Dès lors, sauf si ces déclarations relèvent du vœu pieux, l’auteur pourra être identifié et poursuivi devant le Tribunal correctionnel pour répondre de ses actes.

Maître Joffrey CLOCET, Avocat au Barreau de TOURS

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