Comment bien céder une patientèle
La question posée était la suivante :
« Je suis infirmière libérale, et ai signé un compromis de vente de ma patientèle en janvier. Fin mars, le compromis s’est achevé. Il y a eu confinement et arrêt de l’instruction du dossier de crédit de ma collègue. Elle a cependant versé une somme mensuelle : doit elle être déduite du montant de la vente, si son crédit est accepté ? Ou doit elle me verser l’intégralité, car elle a récupéré la patientèle depuis le 6 janvier ? Un petit point juridique en appoint sur la cession/achat de patientèle ».
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La cession de clientèle civile ou une patientèle est autorisée depuis le 7 novembre 2000. Un arrêt de la Cour de Cassation a pu consacrer ce principe (Ccass. 1ère Chambre Civile, 7 novembre 2000,n° pourvoi 98-17731).
La cession suppose le consentement des parties qui s’y obligent (le vendeur et l’acquéreur) et exige pour être valable les mêmes conditions légales que pour une convention de vente classique : leur capacité à contracter, un objet licite et certain (article 1128 du Code civil).
La cession de la patientèle n’est pas stricto sensu exactement la même que la cession de clientèle, même si elle en constitue l’élément central.
Il s’agit ici de transférer la propriété de la clientèle mais aussi du matériel nécessaire à l’exercice professionnel et les locaux.
Juridiquement, la cession s’analyse en une cession mobilière de nature civile au vu de ce que le fonds libéral constitue un meuble par nature.
Ainsi, le droit commun de la vente mobilière s’applique.
En la matière, l’accord des parties sur la chose et sur le prix suffit à parfaire la vente. En pratique, les parties prévoient régulièrement le recours à un avant-contrat, différant le transfert de propriété dans le temps au moment où les conditions de cet avant-contrat sont remplies.
D’ailleurs, vous faites état d’un compromis de vente. Ainsi, vous avez conclu une promesse synallagmatique (réciproque) de vente. Cette promesse a été réalisée sous condition suspensive. Au titre des conditions, vous indiquez que votre collègue devait bénéficier d’une instruction de son crédit bancaire et ainsi, la promesse était soumise à une condition suspensive d’obtention du financement par crédit bancaire de votre collègue, dans un délai expirant fin mars 2020. A défaut pour votre collègue d’avoir obtenu ce financement dans le délai (en raison notamment des mesures sanitaires), le compromis n’a plus vocation à s’appliquer. Toutefois, et comme cela souvent pratiqué, vous pouvez prévoir d’accorder un nouveau délai en prorogeant la date initialement prévue.
Le transfert de propriété et des risques ne sera parfait qu’au moment où la vente elle-même sera parfaite. Tous les effets de la promesse dont suspendus à la réalité de la condition stipulée.
Pour le cas où la cession ne se réaliserait pas, une indemnité dont le montant est fixé au compromis serait due.
Vous indiquez ensuite que votre collègue a versé une somme mensuelle, sans précision sur la date de réalisation ou le nombre de versement, mais vous précisez qu’elle a eu la jouissance de la patientèle depuis le 6 janvier 2020.
Ainsi, deux hypothèses peuvent se présenter :
- soit la somme versée par votre collègue correspond au dépôt de garantie fixé dans le cadre du compromis, dans l’attente de sa finalisation. Dans ce cas, cette somme s’impute sur le prix de vente final.
- soit la somme versée par votre collègue ne relève pas de l’application du compromis et compense une jouissance du fonds libéral et dans ce cas, les sommes mensuelles versées en s’imputent pas sur le prix de vente final.
Il convient de faire une lecture attentive du compromis régularisé.
Enfin, concernant les règles générales de la cession de patientèle, les conditions générales du droit des contrats s’appliquent : le consentement des parties (libre, éclairé, exempt de vices), la capacité juridique des parties et un contenu licite et certain du contrat.
Des conditions particulières régissent ce contrat de cession puisque la sauvegarde de la liberté du patient doit être respectée : les clients du praticien doivent demeurer libres de reporter ou non leur confiance vers le cessionnaire (acquéreur) sous la sanction de la nullité.
Une clause de non-concurrence peut également être insérée au contrat cession, laquelle n’est pas incompatible avec le respect de liberté du patient. Le cédant doit dans ce cas s’abstenir de toute démarche visant à inciter la clientèle à le suivre ou à aller voir un autre praticien que son successeur.
Egalement, une clause de garantie de clientèle peut être prévue, dans ce cas le cédant s’engageant à rembourser à première demande au cessionnaire une partie du droit de présentation en cas de défection de tout ou partie de la clientèle dans l’année suivant la cession.
Une fois la cession acquise, le cédant a plusieurs obligations : la délivrance en mettant le cessionnaire en possession du fonds libéral, le cessionnaire devant en prendre livraison. Cela recouvre en la matière principalement l’obligation de présentation de la patientèle (un délai de 5 ans pour agir en responsabilité contre le cédant existe sur ce point).
Enfin, plusieurs garanties ont vocation à entourer le contrat de cession de patientèle comme la garantie légale (garantie d’éviction), l’action en concurrence déloyale, la garantie du fait d’un tiers, la garantie des vices cachés ou encore toute garantie conventionnelle.
Le cessionnaire quant à lui a l’obligation de payer le prix (outre le prix principal les frais d’actes et accessoires à la vente sauf dérogation prévue au contrat de cession) sous la sanction de la résolution de la vente, l’obligation de retirer la chose objet de la cession (entrer en possession du bien transféré et des contrats transférés [assurance, contrats de travail, baux etc.] prévus au contrat].
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Maître Maïlys DUBOIS
Avocat au Barreau de Tours