Cadre Juridique de l’usage du cannabidiol
« Ma femme souffre de sclérose en plaques et n’a de répit que quand elle réussit à se procurer du CBD. Au regard des dernières autorisations, comment peut-on commercialiser des produits à base de cannabidiol ? A des fins thérapeutiques ? Est-il possible de cultiver du chanvre avec cet objectif ? »
Classiquement, afin de pouvoir répondre aux questions posées, il convient de définir les éléments de celles-ci et, en l’espèce, le CBD afin, ensuite, de pouvoir étudier la législation qui lui est applicable.
- Définitions et cadre juridique
Le terme CBD est une abréviation de cannabidiol qui est une des composantes, autrement appelé un cannabinoïde, du cannabis ou chanvre. Il est le deuxième cannabinoïde présent dans le cannabis après le Delta-9 TetraHydroCannabinol, plus connu sous son abréviation THC, qui est le principe actif responsable des effets psychoactifs et donc de l’inscription du cannabis sur la liste des produits stupéfiants.
C’est donc parce qu’il contient du THC que le cannabis figure sur la liste des plantes classées comme stupéfiant par l’annexe 1 de l’arrêté du 22 août 1990 pris en application de l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique.
La répression pénale liée à l’interdiction peut aller d’une amende forfaitaire (nouveauté de la loi du 23 mars 2019) pour un simple usage, selon les dispositions de l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique, à des peines criminelles de réclusion à perpétuité ou à 20 ans pour les infractions les plus graves liées au trafic organisé selon les dispositions, notamment, des articles 222-34 et suivants du Code pénal.
Il était donc logique que la question de la légalité d’une substance issue du cannabis mais qui ne contiendrait pas de principe actif responsable des effets psychoactifs soit posée. C’est d’autant plus vrai que le CBD, s’il n’est pas responsable d’effets psychoactifs, se voit attribuer, par certains mais sans que les recherches scientifiques ne l’aient encore définitivement démontré, des effets bénéfiques pour soulager la douleur, notamment dans le cas de sclérose en plaques comme dans le cas évoqué par votre lecteur qui pose la question.
La question s’est d’autant plus posée que, ces dernières années de nombreux commerces ayant pignon sur rue ont ouvert, spécialisées dans la vente de produits à base de CBD sous toutes les formes. L’article 1er de l’arrêté du 22 août 1990 pris en application de l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique pose les conditions de la légalité du CBD en France aujourd’hui :
« Au sens de l’article R. 5181 du code susvisé, sont autorisées la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale (fibres et graines) des variétés de Cannabis sativa L. répondant aux critères suivants :
-la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol de ces variétés n’est pas supérieure à 0,20 % ;
-la détermination de la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol et la prise d’échantillons en vue de cette détermination sont effectuées selon la méthode communautaire prévue en annexe.
Les demandes d’inclusion d’une variété de chanvre dans la liste des variétés de Cannabis sativa L. figurant à l’article 2 doivent être accompagnées d’un rapport indiquant les résultats des analyses effectuées conformément à la procédure B de la méthode décrite à l’annexe du présent arrêté ainsi que d’une fiche descriptive de la variété en question ».
La limitation de l’autorisation en France aux fibres et aux graines, qui contiennent beaucoup de CBD que les feuilles par exemple a été remise en cause par la CJUE.
En effet, un arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne (19 novembre 2020) vient rappeler, sur le fondement de la libre circulation des marchandises produites dans l’Union européenne, que le droit européen -qui autorise le CBD sans restriction lié à une partie de la plante utilisée- est supérieur et s’impose donc au droit français qui n’autorisait que le CBD issu de la culture des fibres et des graines.
Les gérants d’une société qui importait de République Tchèque de l’huile de CDB pour cigarettes électroniques issue de l’ensemble de la plante ont fait l’objet de poursuites pénales pour importation de produits stupéfiants et ont été condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis sur le fondement de la législation française. La Cour d’appel d’Aix en Provence, saisie par les gérants, a sollicité, avant dire droit dans le cadre d’une question préjudicielle, l’avis de la CJUE.
Cette dernière a donc considéré : « Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 34 et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale interdisant la commercialisation du CBD légalement produit dans un autre État membre, lorsqu’il est extrait de la plante de cannabis sativa dans son intégralité et non de ses seules fibres et graines, à moins que cette réglementation soit propre à garantir la réalisation de l’objectif de la protection de la santé publique et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint ». (Considérant n° 96)
Elle précise cependant qu’une telle mesure peut être justifiée par un objectif de protection de la santé publique sous réserve qu’elle soit nécessaire et proportionnée. La CJUE renvoie donc à la juridiction qui l’a saisie l’appréciation des éventuels effets nocifs du CBD, à la lumière des données scientifiques disponibles, justifiant l’application d’un principe de précaution et si les mesures prises sont propres à garantir l’objectif de protection de la santé publique.
Néanmoins, la Cour prend d’ores et déjà position puisqu’elle indique que la règlementation française ne lui parait pas remplir cette condition dans la mesure où l’interdiction de commercialisation ne frappe pas le CBD de synthèse qui aurait les mêmes propriétés que le CBD naturel.
Si la limitation aux seules fibres et graines et encore présente dans la règlementation, il faudra que la France démontre, au regard des données scientifiques, que le principe de précaution impose une telle restriction, ce qui parait difficilement envisageable à ce jour.
2.Réponse aux questions de votre lecteur
Pour répondre aux questions de votre lecteur, son épouse peut facilement se procureur du CBD légalement dans les boutiques ayant pignon sur rue. Pour ces boutiques, la commercialisation est subordonnée au respect des principes évoqués ci-dessus et, notamment, sur le taux de THC puisque c’est dans ce cadre que des infractions sont constatées.
Si l’effet thérapeutique est avéré pour votre lectrice et qu’elle est soulagée par l’usage de CBD, il faut s’en réjouir mais les données scientifiques ne sont pas certaines en la matière et sont encore sujettes à controverses. En tout état de cause, le fabricant ou le vendeur de CBD ne peut revendiquer un effet thérapeutique que dans la limite très restrictive des dispositions liées à l’autorisation des médicaments en France et l’interdiction de l’usage illégal de la profession de pharmacien, profession qui bénéficie d’un monopole en matière de délivrance de médicaments.
Sauf, bien sûr, à ce que des médicaments à base de CBD soient commercialisés, mais ils le seraient, dès lors, uniquement dans les pharmacies. Selon nos informations, un seul médicament contenant du CBD est aujourd’hui autorisé et vendu en France, l’Epidiolex indiqué dans le traitement des convulsions de certaines formes d’épilepsie.
Enfin, sur la question de la culture du chanvre ou cannabis classique, celle-ci est formellement interdite et sévèrement réprimée puisque la plante contient du Delta-9 TetraHydroCannabinol ou THC elle est donc classée comme stupéfiant et fait encourir jusqu’à 20 années de réclusion criminelle au sens des dispositions de l’article 222-35 du Code pénal.
Néanmoins, certains plans de chanvre peuvent être cultivés, dans le respect d’une règlementation stricte.
Ces plans doivent faire partie de la liste établie par le ministère de la Santé prévue à l’article 2 de l’arrêté du 22 août 1990 pris en application de l’article R. 5132-86 du Code de la santé publique.
Comme indiqué ci-dessus, et dans l’attente d’une éventuelle modification législative, l’utilisation industrielle et commerciale de la fleur, autrement appelée sommité fleurie dans le jargon vert, est strictement interdite. Il est donc formellement interdit d’extraire du CBD de la fleur, son extraction étant possible seulement par la tige (fibre de chanvre) ou par ses graines (graines de chanvre), qui en contiennent des quantités infinitésimales.
Il faut également que la teneur en THC ne dépasse pas 0,2% dans les plants de chanvre. Les semences qui sont utilisées doivent aussi être certifiées et inscrites dans un catalogue et les taux de THC sont régulièrement contrôlés dans des laboratoires.
En conclusion, l’usage et l’achat du CBD sont autorisés en France même si la production et la vente sont limitées à l’usage de la tige et des graines pour en extraire le cannabidiol.
Maître Boris Labbé, avocat au barreau de Tours