Après le divorce, la parole de l’enfant peut modifier la procédure.
« Trois jours avant l’audience de non-conciliation pour notre divorce, mon fils de 15 ans a exprimé le souhait à un des parents d’être entendu par le juge. L’audience de non-conciliation a bien eu lieu à la date prévue, mais l’enfant a été entendu par le juge quelques semaines après cette audience. Il a rendu sa décision provisoire sans audience de restitution de la parole de l’enfant. Est-ce normal? Y a-t-il un principe du contradictoire? Quel recours existe-t-il? Comment être sûr qu’il a pris sa décision en fonction des intérêts de l’enfant? »
Vous m’interrogez sur la question de l’audition de l’enfant dans le cadre de la procédure de divorce de ses parents.
Vous m’indiquez que votre fils de 15 ans, trois jours avant l’audience de conciliation dans le cadre de votre divorce (devenue l’audience de fixation de mesures provisoires depuis la réforme en vigueur au 1er janvier 2021), a émis le souhait d’être entendu par le Juge.
Le Code Civil, dans son article 388-1 prévoit en effet que, dans toute procédure le concernant (ce qui ne se limite pas à la procédure de divorce de ses parents), le mineur capable de discernement peut être entendu par le Juge ou par la personne désignée par le Juge (étant précisé que la loi ne détermine pas l’âge à partir duquel un mineur est capable de discernement).
Le Juge doit s’assurer que l’information a bien été donnée au mineur de son droit à être entendu.
D’ailleurs, les assignations et les convocations envoyées aux parties pour des audiences en matière familiale sont accompagnées d’un avis aux parents relatif à leur obligation d’informer les enfants de leur possibilité d’être entendus par le Juge.
Lorsque la demande d’audition émane de l’enfant lui-même (le cas échéant par l’intermédiaire de son Avocat), cette audition est de droit.
Lorsque c’est l’un des parents qui sollicite l’audition de son enfant, le Juge aux Affaires Familiales a un pouvoir d’appréciation et peut décider de refuser l’audition s’il estime disposer par ailleurs de suffisamment d’éléments d’appréciation pour rendre sa décision.
Votre fils ayant lui-même exprimé le choix d’être entendu, son audition était donc de droit.
Lors de son audition, l’enfant a le droit de se faire assister par un Avocat.
Si l’enfant ne connaît pas d’Avocat, il peut s’adresser à l’Ordre des Avocats et, ainsi, le Bâtonnier lui désignera un Conseil qui l’assistera gratuitement.
A TOURS, comme dans certaines autres villes, lorsqu’un enfant lui demande la désignation d’un Avocat, le Bâtonnier choisit cet Avocat sur une liste – dont je fais partie – de volontaires en la matière qui se soumettent à une obligation annuelle de formation spécifique en droit des mineurs.
Vous m’expliquez que votre fils a formulé sa demande d’audition seulement trois jours avant votre audience de conciliation, laquelle a bien eu lieu à la date prévue, l’enfant n’ayant été entendu que plus tard.
Cette manière de procéder a eu pour vous l’avantage d’éviter de différer de plusieurs mois la tenue de votre audience de conciliation.
Vous déplorez néanmoins le fait que le Juge ait pris sa décision sans organiser entre les époux une nouvelle audience de restitution de la parole de l’enfant.
Vous me demandez, à ce sujet, s’il existeun principe du contradictoire.
Je vous confirme qu’il existe bien un principe du contradictoire et qu’il s’agit même d’une des règles fondamentales de la procédure civile, pénale et administrative en droit français.
Ce principe d’ordre public assure à tous les citoyens un procès équitable en imposant que :
- Les parties ne puissent pas être jugées sans avoir été, sinon entendues, au moins valablement convoquées ;
- Chaque partie puisse avoir connaissance des éléments de preuve et des arguments à partir desquels elle sera jugée.
En procédure civile, ce principe est consacré par l’article 16 du Code de Procédure civile ainsi rédigé :
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
Toutefois, le respect du principe du contradictoire n’impose pas, après l’audition de l’enfant, l’organisation d’une nouvelle audience de restitution de la parole de l’enfant avant que le Juge ne rende sa décision.
Il suffit en effet que les parties puissent prendre connaissance des propos tenus par leur enfant et qu’elles aient la possibilité de faire valoir auprès du Juge aux Affaires Familiales, avant que ce dernier ne rende sa décision, leurs observations sur les propos tenus par leur enfant (lesdites observations devant, pour être prises en compte, être communiquées non seulement au Juge mais aussi à la partie adverse pour respecter le principe du contradictoire).
La question de savoir la manière dont les parties peuvent prendre connaissance des propos tenus par leur enfant ne pose plus de problème depuis un décret du 20 mai 2009 qui prévoit que :
« dans le respect de l’intérêt de l’enfant, il est fait un compte-rendu de cette audition. Ce compte-rendu est soumis au respect du contradictoire » (article 338-12 du Code de Procédure Civile).
Dans votre cas, on peut considérer que le principe du contradictoire a été respecté si les deux conditions suivantes ont été remplies :
- La copie du compte-rendu d’audition de votre fils vous a été adressée ;
- Le Juge vous a précisé dans quel délai vous pourriez lui faire part de vos observations sur l’audition de votre enfant avant qu’il ne rende sa décision.
Si en revanche vous n’avez pas reçu le compte-rendu d’audition de votre fils ou encore si, l’ayant reçu, le Juge aux Affaires Familiales ne vous a pas laissé un délai raisonnable pour vous exprimer à son sujet, le principe du contradictoire n’a pas été respecté et votre ordonnance de non-conciliation est donc susceptible d’être annulée par une Cour d’Appel.
C’est en effet en ce sens qu’a jugé la première chambre civile de la Cour de Cassation dans un arrêt n°18-15633 du 19 septembre 2019 :
« Pour fixer la résidence habituelle de Z … chez son père, l’arrêt se fonde notamment sur les propos de l’enfant, recueillis lors d’une audition organisée après la clôture des débats ;
En statuant ainsi, sans avoir ni invité les parties à formuler, dans un certain délai, leurs observations en cours de délibéré sur le compte-rendu qui leur était adressé, ni ordonné la réouverture des débats, la Cour d’Appel a violé les textes susvisés.» (les textes violés étant les articles 16 et 338-12 du Code de Procédure Civile cités plus haut).
Vous me demandez ensuite comment être sûr que le Juge aux Affaires Familiales a pris sa décision en fonction des intérêts de l’enfant.
Le Code Civil prévoit (article 373-2-6 alinéa 1) que le juge du tribunal judiciaire délégué aux affaires familiales règle les questions qui lui sont soumises relatives à l’autorité parentale en veillant spécialement à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs.
Ceci ne veut pas dire que le Juge doit nécessairement statuer dans le sens de ce qu’a demandé l’enfant.
En effet, la possibilité offerte au mineur d’être entendu par le Juge dans toute procédure le concernant n’a pas pour effet de faire de lui une partie au procès.
La parole de l’enfant constitue pour le Juge aux Affaires Familiales un des éléments pour apprécier la meilleure manière de préserver ses intérêts.
Le Code Civil, en son article 373-2-11, en prévoit d’autres:
« Lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le Juge prend notamment en considération :
1° La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ;
2° Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 (il s’agit là de l’audition de l’enfant par le Juge) ;
3° L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre ;
4° Le résultat des expertises éventuellement effectuées, tenant compte notamment de l’âge de l’enfant ;
5° Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 ;
6° Les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre ».
Il faut savoir que les décisions des Juges doivent être motivées, ce qui signifie que les Magistrats doivent expliquer les éléments qui les conduisent à juger dans un sens ou dans un autre.
Dans votre cas, c’est en lisant la motivation de l’ordonnance de non-conciliation rendue par le Juge que vous pourrez vous assurer des éléments que celui-ci a pris en considération pour statuer dans l’intérêt de votre enfant.
Vous me demandez enfin « Quel recours existe-t-il ?».
Je vous réponds que les décisions des Juges aux Affaires Familiales sont susceptibles d’appel et que vous pouvez donc demander à la Cour d’Appel de rejuger votre affaire si vous estimez que, soit le principe du contradictoire n’a pas été respecté, soit le Juge aux Affaires Familiales a fait une appréciation erronée de l’intérêt de votre enfant.
Je vous précise, s’agissant des ordonnances de non-conciliation, que le délai d’appel est de quinze jours à compter de la signification de l’ordonnance par voie d’Huissier.
Il est important de savoir que les décisions des Juges aux Affaires Familiales sont exécutoires par provision, ce qui signifie que, même si vous en relevez appel, votre ordonnance de non-conciliation s’appliquera aussi longtemps que la Cour d’Appel n’aura pas statué à nouveau.
Maître Delphine TROUSSET, avocat au Barreau de Tours.