Le propriétaire colmate la brèche mitoyenne
Vous m’exposez qu’une brèche vient de se produire dans le mur qui sépare votre propriété de celle de votre voisin, en me précisant que ce mur retient le terrain de votre voisin en surplomb du vôtre.
Vous me demandez si vous devez réparer seul ce mur et à vos frais.
Pour répondre à cette question, il faut rechercher qui est propriétaire du mur endommagé puisqu’il incombe au propriétaire d’un ouvrage d’en assurer l’entretien et les réparations.
Or, il m’apparait peu probable que vous soyez le seul propriétaire du mur litigieux, ceci pour les raisons suivantes :
- Le Code Civil, en son article 666 alinéa 1, édicte en ces termes une présomption de mitoyenneté :
« Toute clôture qui sépare des héritages est réputée mitoyenne, à moins qu’il n’y ait qu’un seul des héritages en état de clôture, ou s’il n’y a ni titre, prescription ou marque contraire ».
- S’agissant plus particulièrement des murs, cette présomption de mitoyenneté est reprise par l’article 653 du Code Civil en ces termes :
« Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu’à l’héberge ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen s’il n’y a titre ou marque du contraire ».
Ainsi, un mur qui sépare deux propriétés contigües, implanté en limite séparative, est présumé mitoyen, c’est-à-dire appartenant aux deux voisins qui en ont un droit d’usage, chacun de leur côté, et qui doivent l’entretenir et le réparer à frais partagés.
Toutefois cette présomption de mitoyenneté n’a pas vocation à s’appliquer dans les cas suivants :
- si le titre de propriété de chacun des voisins, ou l’un de ces titres seulement, attribue la propriété du mur à l’un ou à l’autre exclusivement,
- si le mur présente des marques de non-mitoyenneté.
Les marques de non-mitoyenneté sont définies de la manière suivante par l’article 654 du Code Civil :
« Il y a marque de non-mitoyenneté lorsque la sommité du mur est droite et à plomb de son parement d’un côté, et présente de l’autre un plan incliné.
Lors encore qu’il n’y a que d’un côté ou un chaperon ou des filets et corbeaux de pierre qui y auraient été mis en bâtissant le mur.
Dans ces cas, le mur est censé appartenir exclusivement au propriétaire du coté duquel sont l’égout ou les corbeaux et filets de pierre ».
La formulation de cet article – dont vous aurez, j’en suis certaine, savouré le charme suranné – mérite quelques sous-titrages en français moderne :
Ce texte exclut la présomption de mitoyenneté lorsqu’il existe, dans la construction du mur, une dissymétrie ayant pour conséquence :
- Soit d’entrainer les eaux pluviales vers une seule des deux propriétés contigües, la propriété du mur étant alors rattachée au terrain sur lequel les eaux se déversent ;
- Soit de présenter des pierres en saillie permettant d’appuyer des poutres en vue d’une construction future, la propriété du mur étant alors rattachée au terrain se trouvant du coté des pierres en saillie.
En ce qui concerne les murs de soutènement, le Code Civil est muet et c’est donc la jurisprudence qui, les concernant, a instauré de longue date une présomption de non- mitoyenneté.
Parmi les nombreuses décisions rendues, on peut citer le Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOURS en date du 10 juillet 1980 et l’Arrêt de la 3ème Chambre Civile de la Cour de Cassation en date du 15 juin 1994 n°92-13487 selon lesquels :
Les murs de soutènement doivent être présumés appartenir à celui dont ils soutiennent les terres et qui en profite.
La cour de Cassation précisant, dans l’arrêt précité de 1994:
Un mur de soutènement n’est pas un mur de clôture et, par conséquent, ne peut être considéré comme un mur mitoyen.
On peut se référer également à un autre Arrêt n° 03-15.541 du 8 décembre 2004 dans lequel la Cour de Cassation, après avoir constaté l’absence de titre permettant d’établir le caractère privatif ou mitoyen du mur, et relevé que le profil des terrains et la présence de deux rangées de barbacanes (orifices pratiqués dans le mur servant à l’écoulement des eaux pluviales), a considéré qu’il fallait retenir que ce mur remplissait une fonction de soutènement des terres de la propriété située en surplomb et que sa faible hauteur du côté des fonds supérieur lui enlevait tout aspect de mur de clôture. La Haute Juridiction a jugé que ceci suffisait à déduire que ce mur appartenait exclusivement au propriétaire du terrain situé en surplomb.
Cette jurisprudence a été réaffirmée par la Cour de Cassation, 3ème chambre civile, dans un arrêt du 12 novembre 2008 (n°07-19035).
Plus récemment, dans un arrêt du 15 septembre 2015 (n°12-25911) La 3ème chambre civile a retenu la propriété exclusive d’un mur au profit du terrain en surplomb alors qu’initialement, d’après les titres de propriété, le mur séparant les deux terrains était qualifié de mitoyen.
En effet, dans ce cas d’espèce, le propriétaire du terrain en surplomb avait procédé à des remblais pour assurer l’horizontalité de son terrain précédemment en pente, ce qui l’avait contraint à transformer le mur séparatif pour que celui-ci assure à l’avenir la fonction de retenue des terres.
Compte-tenu de ces précisions, sous réserve de vérification que votre titre de propriété ne qualifie pas de mitoyen le mur qui vous sépare de votre voisin, il résulte de la jurisprudence bien établie que ce mur appartient exclusivement à votre voisin dont le terrain surplombe le vôtre.
Dans ces conditions, c’est à votre voisin qu’incombe la charge de l’entretien et des réparations du mur endommagé.
Par exception, le coût de réparation pourrait être mis à votre charge dans l’hypothèse où vous seriez responsable exclusivement de la brèche qui s’est produite dans le mur (par exemple si des travaux d’excavation réalisés sur votre propriété ou encore des racines provenant de plantations sur votre terrain sont à l’origine de la destruction du mur).
Je vous conseille donc d’adresser à votre voisin, par courrier recommandé avec accusé de réception, une mise en demeure d’avoir à réparer le mur de soutènement. Vous pouvez en outre lui demander d’indemniser le préjudice que vous cause la brèche, consistant dans le fait qu’il vous est impossible de jouir en toute sérénité de votre jardin en raison du danger lié au risque d’éboulement.
En cas de refus de votre voisin, vous avez la possibilité de vous pourvoir en justice, tout d’abord pour solliciter une expertise judiciaire devant le Juge des Référés.
Cette expertise permettra de :
- déterminer la cause de la brèche,
- décrire et chiffrer les travaux de nature à permettre la réfection du mur afin qu’il assure sa fonction de retenue des terres sans danger pour votre propriété.
- donner tous éléments d’appréciation du préjudice de jouissance que vous subissez.
Sur la base du rapport d’expertise qui sera déposé, si votre voisin refuse encore de vous indemniser et de procéder aux travaux de réfection, vous aurez la possibilité, par l’intermédiaire de votre Avocat, de saisir le Tribunal de Grande Instance pour demander que votre voisin soit condamné :
- à procéder, le cas échéant sous astreinte, aux travaux préconisés par l’expert judiciaire,
- à vous indemniser de votre préjudice de jouissance,
- à prendre en charge les frais que vous aurez exposés dans le cadre de la procédure judiciaire, y compris les frais de l’expertise.
Maître Delphine TROUSSET
Avocat au Barreau de Tours