A compresseur bruyant protection des riverains

Aux abords du marché, le bruit d’un compresseur peut nuire à la tranquillité des riverains. Le maire ou la police municipale doit intervenir.

Vous m’avez saisi d’une problématique liée aux nuisances créées par un compresseur appartenant à un commerçant non sédentaire installé sur un marché à proximité immédiate de votre propriété.

Il apparait que les nuisances dont vous faites mention pourraient être qualifiés de troubles anormaux de voisinage.  Il s’agit de troubles dépassant les désagréments que l’on peut normalement supporter du voisinage.

Nous sommes ici face à des nuisances qui proviennent d’une activité privée puisqu’il s’agit de bruits liés à l’activité professionnelle d’un commerçant non sédentaire.

Toutefois, ces nuisances sont liées à l’installation de ce commerçant dans le cadre d’un marché municipal ce qui implique des interrogations sur une responsabilité de la collectivité organisatrice à ce titre.

Il me semble que, en raison des nuisances que vous subissez, deux mécanismes de responsabilité doivent être envisagés.

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En premier lieu, sur le régime de responsabilité sans faute

Aux termes de l’article L.2224-18 du Code général des collectivités territoriales les marchés sont créés par délibération du conseil municipal et un règlement doit être établi par l’autorité territoriale.

Il conviendra d’obtenir ce document pour vérifier les dispositions du règlement du marché s’agissant du traitement des nuisances par l’autorité territoriale.

Il reviendra au maire de prendre les dispositions qui s’imposent au regard des prescriptions du règlement du marché et de prononcer, le cas échéant, des mesures conservatoires et, éventuellement, des sanctions si le commerçant ne se met pas en règle s’agissant des nuisances sonores générées par son activité.

Des règlements de marché prévoient notamment la possibilité de modifier l’emplacement affecté au commerçant pour éloigner les nuisances de son installation, si celles-ci ne peuvent être réduites.

En effet, un commerçant sur un marché de plein air est titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public et il doit en user paisiblement (L.2122-1 CG3P).

Il reviendra donc en premier lieu d’informer le commerçant des nuisances générées et, en cas d’inaction de sa part, de saisir le maire pour qu’il intervienne et fasse respecter le règlement du marché.

A défaut d’intervention significative de leur part, il pourra être envisagé d’agir à l’encontre de la collectivité au titre des troubles anormaux créés par l’activité de marché de plein air.

Le marché étant une utilisation de la voie publique et donc du domaine public, il y aura lieu d’appliquer les règles relatives à la responsabilité de la personne publique en raison des dommages créés par l’utilisation de son domaine public/ouvrage public.

A ce titre, en qualité de tiers à l’utilisation de cet ouvrage, et le dommage étant permanent, le régime de responsabilité sera un régime de responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques.

CE, 30 novembre 1923, Couitéas, n°38284, Lebon 789

Il est en effet de jurisprudence constante que :

« Le maitre d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement »

Voir CE, Assemblée, 28 mai 1971, Département du Var, n°76216 ;

CE, 3 mai 2006, Ministre de l’Ecologie et du Développement durable ;

CE, 3 mai 2006, Commune de Bollène, JurisData n°2006-070185)

Dans ce cas, il n’y a pas besoin de démontrer une faute de la collectivité mais uniquement d’établir le caractère anormal et spécial du préjudice subi.

Le préjudice anormal est celui qui excède les inconvénients normaux que l’on peut habituellement attendre que vous supportiez compte tenu de l’intérêt général de l’ouvrage en cause.

Voir CE, 6 juillet 1977, Dame Veuve X, n° 00662

CAA Paris, 15 mars 1994, n°93PA00694

S’agissant des nuisances sonores, l’anormalité du dommage s’apprécie notamment en fonction de l’ampleur de la nuisance alléguée.

Voir pour des nuisances sonores excessives :

 CE, 5 décembre 1973, Vidal et Jenkins, Lebon 696

CE, 19 janvier 1990, Ministre de l’Equipement c/ Pagano

CE, 20 novembre 1992, Commune de Saint Victoret, Lebon 418

CAA Lyon, 16 mars 2000, Commune de Saint-Laurent-du-Pont c/ M. et Mme Raymond, n°96LY02054

CE, 9 mai 2012, Commune de Prouvy, n°346757

Les juridictions administratives prennent ainsi en considération l’intensité et les horaires auxquelles le bruit se manifeste et les troubles de jouissance résultant de ces nuisances.

Voir CE, 20 mars 1968, Ministre des Postes et Télécommunication c/ Scalia, n°68572, Lebon T.1135 et 1137

CE, 17 mai 1974, Malaterre, n°84391, Lebon T.1173

Les juridictions administratives n’hésitent pas à reprendre le même critère que le juge civil, à savoir que le dommage doit excéder les inconvénients normaux du voisinage.

Voir CE, 25 novembre 1987, Société pour l’incinération des résidus de l’agglomération caennaise, n°50179

Il doit donc être rappelé que la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux de voisinage repose sur le principe selon lequel toute personne doit nécessairement tolérer une certaine dose de désagréments inhérents au voisinage. Il y a cependant un seuil au-delà duquel ces sujétions ne sont plus supportables et doivent, de ce fait, être réparées.

Cass. Civ.3, 27 juin 1973, n°72-12.844

Il est ainsi tenu compte de l’intensité du bruit et de la répétition et de la persistance de ce bruit.

CA Dijon, 30 juin 2005, JurisData n°2005- 274680

Cass. Civ.3, 6 juin 1972, n°71-11.970

Le spécialité du préjudice suppose qu’il est subi par un nombre réduit de personnes identifiables, ce qui semble être le cas en l’espèce.

 Il doit être souligné que ces préjudices ne peuvent être mis en avant si l’activité source de nuisances existait préalablement à l’installation du voisin qui entend dénoncer ces nuisances.

CE, 4 juillet 1980, SEITA et EPOUX LECOURT

Vous concernant, cela ne semble pas être le cas puisque l’activité et les nuisances y afférentes sont postérieures à votre installation. L’antériorité de l’activité ne peut donc vous être opposé.

Au demeurant, il semble que les nuisances vous concernant puissent revêtir un caractère anormal et spécial, il y aura cependant lieu d’étayer les éléments de preuve en produisant un constat d’huissier, voire une analyse sonométrique pour établir l’intensité du bruit ainsi que des éléments médicaux sur l’incidence du bruit sur votre fille .

Dès lors que ces éléments seraient réunis et permettrait de démontrer un préjudice anormal et spécial, il pourrait être envisagé d’engager la responsabilité sur ce fondement.

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En deuxième lieu, sur le régime de responsabilité sans faute

Outre la question des nuisances générées par le fonctionnement et l’occupation de l’ouvrage public (marché de plein air sur la voie publique), il doit également être évoqué la question de la responsabilité de la collectivité au titre des pouvoirs de police du maire.

En effet, en application des articles L.2212-1 et L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales, la police municipale, assurée par le maire, comprend d’une part :

« Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ».

Cela implique donc, outre l’occupation du domaine public, que l’activité de marché dépend également de la police du maire et qu’il doit à ce titre exercer ses pouvoirs sauf à engager la responsabilité de la collectivité en cas de carence.

D’autre part, la police municipale comprend aussi :

« Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ».

Dans ce cas, nous serons sur un régime de responsabilité pour faute.

Il doit être rappelé qu’aux termes de l’article R.1334-31 du Code de la santé publique aux termes duquel :

        « Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité ».

En outre, l’article L.1311-2 du Code de la Santé publique précise :

« Les décrets mentionnés à l’article L. 1311-1 peuvent être complétés par des arrêtés du représentant de l’État dans le département ou par des arrêtés du maire ayant pour objet d’édicter des dispositions particulières en vue d’assurer la protection de la santé publique dans le département ou la commune ».

Il y aura donc lieu de vérifier si un arrêté préfectoral, voire un arrêté municipal, ont été édictés en matière de bruit.

Quoiqu’il en soit, sur le fondement de ces dispositions, il est de jurisprudence établie que le refus ou la carence du Maire à faire usage de ses pouvoirs de police en n’ordonnant pas les mesures indispensables pour faire cesser les nuisances et faire respecter la règlementation en vigueur, même prise par l’autorité supérieure, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

Voir CE, 25 sept. 1987, Cne de Lège-Cap-Ferret, n° 68501 ;

CE, 28 novembre 2003, Commune de Moissy-Cramayel, n°238349, Lebon 464

CE, 27 juillet 2005, Ville de Noisy-le-Grand, n°257394, Lebon T.1088

CAA Nancy, 7 juin 2007, Cne de Montauville, n° 06NC0005

CAA Douai, 24 janvier 2008, n° 07DA00989

CAA Nantes, 25 avril 2014, n°12NT00387

Il est également de jurisprudence constante que le Maire commet une faute en ne prenant aucune mesure appropriée pour faire cesser les nuisances sonores causées aux riverains par un ouvrage ou une activité alors qu’il en avait été informé.

Voir, CAA Marseille, 5 juillet 2004, Commune d’Aix en Provence, n°02MA01916 ;

CAA Bordeaux, 13 février 2007, M. et Mme Jacky X. c/ Commune de Moulidars,n°04BX00662 ;

CAA Paris, 22 novembre 1994, Commune de Schoelcher,n°93PA00463

Les juridictions administratives considèrent qu’il existe une carence fautive lorsque l’administration ne démontre pas avoir effectuer une quelconque diligence pour limiter les nuisances et faire cesser les troubles de la tranquillité publique.

Voir CE, 4 octobre 1968, M. Paul Y c/ Ville de Nice, n°68871

CAA Bordeaux, 27 mai 2008, Commune de Mielan, n°06BX02382

CAA Versailles, 9 avril 2013, Commune d’Antony, n°12VE02010

CAA Bordeaux, 4 avril 2006 ; Commune de Villeneuve sur Vère, n°03BX00841

CAA Versailles, 15 mai 2012, Lahitte c/ Commune d’Ezanville,n°11VE03616

Ainsi, dès lors que la Commune serait informée de la gêne excessive qu’occasionne le compresseur du commerçant occupant un emplacement sur le marché de plein air de la commune, son absence d’intervention serait constitutive d’une carence fautive de nature à engager sa responsabilité.

La Commune serait tenue de réparer les préjudices causés par ces nuisances, qui sont la conséquence de cette carence.

Voir CAA Nancy, 30 septembre 1993, Mme Joséphine X et al. c/ Etat ; n°92NC00194

En troisième lieu, sur la demande d’intervention à la Commune

Il est constant que les régimes de responsabilité ont vocation à s’appliquer si la Commune n’agit pas promptement lorsque vous la saisissez de la problématique des nuisances sonores subies.

Ces éléments seront utiles lors de l’intervention auprès de la Commune pour lui rappeler les risques auxquels elle s’expose si elle n’agit pas promptement pour faire cesser les nuisances.

A ce titre, et préalablement à toute action indemnitaire, il pourrait être opportun de formaliser une demande d’intervention auprès de la Commune tant au titre des pouvoirs de police des marchés qu’au titre de la police de la tranquillité publique.

En cas de refus par la Commune d’intervenir, cette décision pourrait faire l’objet d’un recours en annulation devant la juridiction administrative avec des conclusions à fin d’injonction pour faire cesser les troubles.

Maître Quentin GENTILHOMME, avocat au Barreau de Tours.

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