L’écoulement des eaux usées peut impliquer la mairie
Madame, Monsieur,
Votre question concerne les solutions juridiques envisageables pour mettre un terme aux nuisances provoquées par le fossé appartenant à la Commune et passant au droit de votre propriété.
Ce fossé recueille les eaux usées de vos voisins et entraîne l’apparition de mauvaises odeurs et la présence de rats.
Pour seule réponse à vos missives, la Commune vient nettoyer mais ne résout pas définitivement les problèmes liés à ce fossé.
En premier lieu, vous évoquez le souhait de faire dévier ce fossé.
Pour cela, le fossé appartenant à la Commune, il conviendra de déterminer liminairement si cet ouvrage est un ouvrage public ou un ouvrage privé pour établir le régime qui lui sera applicable.
La qualification du fossé litigieux comme ouvrage public est pour le moins incertaine.
En effet, si la juridiction administrative a pu admettre qu’un fossé servant de collecteur d’eaux usées présente le caractère d’un ouvrage public (CE, 11 février 1981, n°12869), elle a pu également considérer que le critère de l’aménagement spécial permettant de qualifier un ouvrage comme étant public n’était pas rempli par la seule circonstance que le fossé reçoit des eaux usées ou pluviales (CE, 2 décembre 1955, Commune de Salies du Salat, Lebon 571 ; CE, 21 janvier 1976, Commune de Coltines).
Pour déterminer la qualification d’ouvrage public, le juge vérifiera donc si la Commune a procédé ou non à un aménagement du fossé à fin d’évacuation des eaux usées.
En l’état, nous ne disposons pas d’assez d’éléments sur l’implication de la Commune pour pouvoir se prononcer sur la potentielle qualification d’ouvrage public du fossé litigieux.
Si toutefois le comportement de la Commune permettait de le considérer comme tel, il doit immédiatement être souligné qu’il n’est pas possible de saisir directement les juridictions administratives pour obtenir la démolition ou la modification d’un ouvrage public (CAA Nantes, 5 février 1997, Francine Castres, n°94NT01240 ; CAA Nantes, 9 juillet 1999, Mme Coudrier-Priou, n°98NT01452 ; CAA Nantes, 19 octobre 2001, Epoux Bousquet, n°99NT00746).
En effet, il convient, au préalable, de saisir l’administration propriétaire d’une demande de déplacement ou de démolition de l’ouvrage public.
Le refus exprès ou implicite de la Commune (dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande) pourra alors être contesté par le biais d’un recours en annulation devant le Tribunal Administratif et il pourra être demandé, à titre accessoire, qu’il soit fait injonction à la Commune de déplacer l’ouvrage public.
Également, il pourra être envisagé une action indemnitaire pour engager la responsabilité de la Commune en raison des préjudices subis par l’ouvrage public.
En l’espèce, vous serez vraisemblablement considérés comme tiers à l’ouvrage public et les dommages subis, relevant des inconvénients de voisinage, seront considérés comme des dommages permanents.
Dès lors, il vous sera appliqué le régime de responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques, régime de responsabilité sans faute impliquant uniquement la démonstration d’un préjudice anormal et spécial (CE, 30 novembre 1923, Couitéas, n°38284, Lebon 789).
Il est en effet de jurisprudence constante que : « le maitre d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement » (CE, Assemblée, 28 mai 1971, Département du Var, n°76216 ; CE, 3 mai 2006, Ministre de l’Ecologie et du Développement durable ; CE, 3 mai 2006, Commune de Bolène, JurisData n°2006-070185).
Ce régime de responsabilité s’applique en cas de fonctionnement défectueux ou de défaut d’entretien normal d’un ouvrage public mais également lorsque le fonctionnement normal de l’ouvrage génère des dommagesCE, 16 mars 1906, de Ségur Lamoignon, Lebon 242 ; CE, 16 avril 1937, Recouly, Lebon 398 ; CE, Section, 19 mai 1961, Sci La Bergerie, Lebon 341 ; CE, 2 octobre 1987, EDF / Spire, Lebon 302).
Afin d’apprécier l’anormalité du dommage, il sera rappelé que le dommage de travaux public causé par l’existence d’un ouvrage public doit, pour ouvrir droit à réparation, excéder les sujétions que les riverains d’un ouvrage public sont normalement appelés à supporter. (CE, 6 juillet 1977, Dame Veuve X, n° 00662 ; CAA Paris, 15 mars 1994, n° 93PA00694)
Les juridictions administratives n’hésitent pas à reprendre le même critère que le juge civil, à savoir que le dommage doit excéder les inconvénients normaux du voisinage (CE, 25 novembre 1987, Société pour l’incinération des résidus de l’agglomération caennaise, n°50179)
Il doit donc être rappelé que la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux de voisinage repose sur le principe selon lequel toute personne doit nécessairement tolérer, de la part de ceux qui l’entourent et qui ne commettent ni faute délictuelle, ni faute quasi délictuelle, ni abus de droit, une certaine dose de désagréments inhérents au voisinage. Il y a cependant un seuil au-delà duquel ces sujétions ne sont plus supportables et doivent, de ce fait, être réparées (Cass. Civ.3, 27 juin 1973, n°72-12.844).
Pour déterminer si ce seuil est dépassé, et ainsi constituer le caractère anormal du dommage, il doit être pris en compte l’ampleur de la nuisance (récurrence, importance, proximité, …).
En tout cas, il a été admis comme préjudice anormal des troubles de jouissances liés aux mauvaises odeurs émanant d’un ouvrage public (CE, 3 juillet 1970, Commune de Dourgne, n°76295, Lebon 463 ; pour une station d’épuration : CE, 17 mai 1974 ; Commune de Bonnieux, n°84701 ; Lebon 295 ; CE, 25 novembre 1987, Zawadski et Mihulkan, n°50180, Lebon 380 ; CAA Lyon, 18 décembre 1992, Commune d’Enchastrayes, n°91LY00030, Lebon T. 1359 ; CAA Lyon, 20 avril 2006, Denesvre de Domecy).
Il en va de même de la prolifération d’animaux nuisibles (CAA Nantes, 10 juillet 1991, Epoux Le Guellec, Lebon 1244 ; CE, Avis, 26 février 2003, Courson, n°251172).
Il faudra toutefois être prudent car les juridictions prennent également en considération l’antériorité de la source de nuisance pour l’habitant qui se serait installé après l’ouvrage public (CAA Nantes, 9 avril 1997, n° 94NT00836 ; CE, 17 mai 1974, n° 84701).
Ainsi, si vous avez acquis votre propriété postérieurement à l’utilisation du fossé comme réseau d’écoulement des eaux usées et, surtout, postérieurement à l’apparition des nuisances évoquées, il pourrait être retenue l’antériorité de l’ouvrage public et ainsi être considéré que vous avez acquis le bien en toute connaissance de cause quant aux désordres provenant du fossé riverain.
La Commune serait ainsi exonérée de toute responsabilité.
En revanche, si les nuisances sont postérieures à votre installation ou si elles se sont aggravées de façon notable et imprévisible, alors il n’y aura aucune exonération fondée sur l’antériorité. (CE, 25 janvier 1935, n° 27610 ; CE, 11 juillet 1960, n° 45797 ; CE, 24 février 1971, n° 78177).
L’engagement de cette procédure indemnitaire implique, en premier lieu, de saisir la Commune d’une réclamation préalable (chiffrée ou non) pour lier le contentieux.
En cas de réponse défavorable de la Commune, un recours en indemnisation pourra alors être engagé devant le Tribunal Administratif.
Dès lors que le préjudice anormal et spécial et le lien de causalité avec l’ouvrage public sont établis, les juridictions administratives devraient faire droit à la demande indemnitaire.
Mais comme cela a été évoqué, ces procédures conservent un caractère aléatoire car elles dépendent de la qualification du fossé litigieux comme étant un ouvrage public.
D’ailleurs, si la qualification d’ouvrage public ne semblait pouvoir être retenue pour le fossé litigieux, il s’agirait alors d’un ouvrage privé et la Commune devra répondre d’une éventuelle responsabilité devant les juridictions judiciaires pour trouble anormal de voisinage.
Quoiqu’il en soit, un aléa demeure sur la procédure envisageable au regard de la qualification que pourrait revêtir le fossé litigieux.
Une autre voie apparait cependant envisageable pour obtenir l’arrêt des nuisances et la réparation des préjudices subis.
En deuxième lieu, il convient de se concentrer sur la cause réelle des nuisances subies et non sur le lieu de provenance de ces dernières.
Ainsi, il apparait que les nuisances sont causées par l’utilisation du fossé litigieux comme réseau de déversement et d’évacuation des eaux usées de propriétaires voisins.
Il sera rappelé qu’aux termes de l’article L.2212-2 5° du Code général des collectivités territoriales, le Maire dispose d’un pouvoir de police générale pour assurer la salubrité publique.
Également, aux termes de l’article L.2224-8 du CGCT il dispose d’un pouvoir de police spéciale en termes d’assainissement des eaux usées.
D’ailleurs, s’agissant de l’assainissement des eaux usées, il sera rappelé que les articles L.1331-1 et L.1331-1-1 du Code de la santé publique imposent des obligations aux propriétaires ;
- Soit de se raccorder au réseau public de collecte,
- Soit de s’équiper d’une installation d’assainissement non collectif conforme et en bon état de fonctionnement.
Cela s’effectue sous le contrôle de la Commune qui peut, si les obligations ne sont pas respectées par les propriétaires, en application de l’article L.1331-6 du Code de la santé publique, procéder d’office aux travaux indispensables aux frais des propriétaires.
Une somme incitative est également mise à la charge des propriétaires qui ne se conforment pas aux obligations précitées (article L.1331-8 du CSP).
Au titre des pouvoirs de police générale, le Maire peut aussi en application de l’article L. 2212-4 du CGCT, prescrire l’exécution des mesures de sûreté imposées en cas de danger grave ou imminent.
Au cas particulier, vous avez alerté plusieurs fois la Commune sur la problématique liée à l’écoulement des eaux usées des habitation voisines dans le ruisseau longeant votre propriété.
Il revenait, dès lors, au Maire de la Commune de faire usage de ses pouvoirs de police, tant générale que spéciale, pour faire cesser le trouble et faire respecter les règlementations sanitaires.
La carence du Maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la Commune.
Cela a d’ailleurs été admis s’agissant de l’absence de mesures prises par le Maire pour faire cesser le rejet d’effluents pollués par les habitations dans un fossé (CE, 27 juillet 2015, Commune d’Hébuterne, n°367484, Lebon 285).
Dans cette jurisprudence, le Conseil d’Etat considère également que l’exercice des pouvoirs de police spéciale par le Maire ne suffit à décharger la Commune de toute responsabilité dès lors que les désordres persistent et que le Maire ne fait pas usage de ses pouvoirs de police générale pour y remédier dans les meilleurs délais.
Cette carence est également constituée quand le Maire s’abstient de façon prolongée d’exercer ses pouvoirs de polices (CE, 20 décembre 1957, Commune de Beaumont, Lebon 704) ou quand la situation présente un danger grave pour la salubrité (pour l’écoulement et la stagnation des eaux ménagères dans des fossés : CAA Nantes, 9 novembre 2004, M. et Mme Messaoui, n°02NT00793).
Sur le fondement de l’absence d’exercice des pouvoirs de police, plusieurs actions sont envisageables.
D’une part, une demande expresse de mise en œuvre des pouvoirs de police auprès du Maire de la Commune.
En cas de refus explicite ou implicite, un recours en annulation pourra être envisagé devant les juridictions administratives et une demande accessoire pourra être formulée afin qu’il soit fait injonction, le cas échéant sous astreinte, au Maire de la Commune d’exercer ses pouvoirs de police et remédier ainsi aux troubles à la salubrité publique (CE, 8 juillet 1992, Ville de Chevreuse, n°80775, Lebon 281).
D’autre part, une action indemnitaire peut également être engagée (CE 14 déc. 1962, Doublet, Lebon 680).
Elle prendra la forme d’une réclamation indemnitaire, chiffrée ou non, et en cas de réponse défavorable de la Commune, un recours en indemnisation pourra alors être engagé devant le Tribunal Administratif.
Enfin, il doit être noté que, dans le cas où le Maire de la Commune n’exerce pas ses pouvoirs de police avec diligences, l’article L.2215-1 du CGCT prévoit un pouvoir de substitution du Préfet qui doit être mis en œuvre.
Ainsi, en cas d’absence de réponse favorable de la Commune, l’action contentieuse précitée devra être doublée d’une demande expresse d’intervention du Préfet pour exercer les pouvoirs de police initialement dévolus au Maire.
En cas de carence du Préfet, la responsabilité de l’Etat pourrait également être engagée selon les mêmes mécanismes précités.
Telles sont les observations que je suis conduis à formuler en l’état des éléments que vous avez porté à ma connaissance.
Maître Quentin GENTILHOMME
Avocat au Barreau de Tours